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Le droit d’auteur protège-t-il les algorithmes ?

« L’algorithmique est l’ensemble des règles et des techniques qui sont impliquées dans la définition et la conception d’algorithmes, c’est-à-dire de processus systématiques de résolution, par le calcul, d’un problème permettant de décrire les étapes vers le résultat. En d’autres termes, un algorithme est une suite finie et non-ambiguë d’opérations permettant de donner la réponse à un problème ». Telle est la définition de l’algorithme que propose l’encyclopédie en ligne Wikipédia. En d’autres termes, dans le domaine de l’informatique, un algorithme peut être considéré comme une méthode, un modèle, ou un procédé, permettant de résoudre un problème particulier, et qui serait à la base de la mise en œuvre d’un programme informatique, sans pour autant en prendre la forme.

L’objet du présent article est dans un premier temps d’analysersi un tel modèle est susceptible d’être protégé par des droits de propriété intellectuelle, et dans un second temps d’analyser les démarches qu’il est possible de mettre en œuvre afin de préserver l’algorithme créé par l’auteur.

La protection des algorithmes n’est a priori envisageable que sous l’angle du droit d’auteur, à l’exclusion d’une éventuelle protection tant par le droit des brevets (il n’y a pas d’invention susceptible d’application industrielle) que par le droit des bases de données (l’algorithme ne consiste pas en un ensemble informationnel de données indépendantes et qui jouissent d’une valeur informative autonome, et qui seraient disposées de manière méthodique).

Une protection par le droit d’auteur ?
Le droit d’auteur protège les œuvres de l’esprit et confère à leur auteur un droit d’exclusivité sur celles-ci. Selon l’article 1er de la loi modifiée du 18 avril 2001 sur les droits d’auteur, les droits voisins et les bases de données (ci-après la « Loi »), « Les droits d’auteur protègent les œuvres littéraires et artistiques originales, quels qu’en soient le genre et la forme ou l’expression, y compris les photographies, les bases de données et les programmes d’ordinateur ». La Loi n’offre pas de définition plus précise et le juge est chargé de déterminer, en cas de conflit, si les représentations intellectuelles visées pourront bénéficier ou non de la protection de la loi suivant ces critères.

Ainsi, les deux critères principaux de la Loi sont l’exigence de mise en forme, par une expression concrète, qui se distingue de la simple idée abstraite, et l’exigence d’un degré suffisant d’originalité, provenant de l’empreinte de la personnalité de l’auteur, se distinguant ainsi de la simple information ou du simple objet technique. Ces deux critères, qui peuvent paraître larges et vagues, ont été interprétés et développés par la jurisprudence.

La mise en forme de la création

Le droit d’auteur impose que pour pouvoir être protégée, une œuvre doit faire l’objet d’une mise en forme. Ainsi, selon l’article 1er de la Loi, les droits d’auteur « ne protègent pas les idées, les méthodes de fonctionnement, les concepts ou les informations, en tant que tels ».

Sous cet angle de vue, on peut affirmer qu’un algorithme n’est pas protégeable en soit, seule sa mise en forme peut faire l’objet d’une protection. Ce qui est protégé, c’est la manière dont une méthode, un concept, une analyse, une théorie est exprimée, mise en forme. Si le droit d’auteur ne nécessite aucune formalité pour exister, à l’inverse, par exemple, du droit à la marque ou du droit au brevet, une mise en forme est requise et c’est cette mise en forme qui fera l’objet de la protection.

Le fait d’avoir mis au pointun algorithme n’en permet pas la protection en soit. En revanche, c’est la mise en forme, par un écrit, qui peut faire l’objet d’une protection. A titre d’exemple, le droit luxembourgeois ne reconnaît pas la protection d’une théorie scientifique par le droit d’auteur (« Le droit d’auteur au Luxembourg », Jean-Luc PUTZ, édition Saint Paul, 2008). Par contre, la thèse, l’ouvrage ou le discours dans lequel est exposée la théorie pourront faire l’objet d’une protection.

Ainsi, seule la mise en forme par des documents (électroniques ou papier), remplie la condition d’exigence de forme requise par le droit d’auteur.

L’originalité de la création

L’originalité de l’œuvre est le critère central qui détermine si celle-ci peut faire l’objet d’une protection. Faute de définition précise, la jurisprudence décrit l’originalité comme « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». Toutefois, l’appréciation de ce critère demeure très subjectiveet reste soumise à l’appréciation souveraine du juge.

La jurisprudence considère traditionnellement que l’œuvre doit « porter la marque de la personnalité, de l’individualité, du goût, de l’intelligence et du savoir-faire de son créateur »(Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 16 mai 2006, rôle n° 75250).Cette mise en forme se distingue non seulement du pur hasard, mais également de la recherche d’une simple finalité fonctionnelle ou technique.

Le juge serait alors chargé de déterminer (de manière subjective) si la mise en forme par les documents contenant les algorithmes et la description technique du modèle suffirait à remplir la condition de l’originalité de la création c’est-à-dire représente la personnalité de l’auteur. Un autre critère (plus objectif) pourrait également être pris en compte : celui de l’accueil du modèle au sein de la communauté informatique.

Toutefois, on ne peut écarter le fait que les documents de mise en forme d’algorithmes ayant pour but principal de le décrire pourraient être considérés comme ayant une valeur « purement informative ou fonctionnelle »ce qui n’est pas de nature à conférer une protection, cette appréciation supposant que le juge ne voit aucune originalité dans le modèle.

Protection en tant que logiciel ou programme d’ordinateur

Les logiciels sont protégés par la Loi en tant qu’œuvre littéraire et sont dès lors soumis aux conditions de forme et d’originalité développées ci-dessus. Cependant la notion d’originalité est quelque peu différente : elle se réduit à une liberté du choix technique, un « effort personnalisé » du concepteur, portant la « marque de son apport intellectuel » (Ph. Le Tourneau, “Folles idées sur les idées”, CCE, fév. 2001, chron. 4., n°26).

La jurisprudence a défini le programme d’ordinateur comme « un ensemble d’instructions exprimées sous forme verbale, codée, schématique ou autre prouvant, une fois transposé sur un support déchiffrable par machine, faire accomplir ou faire aboutir une tâche ou un résultat particulier par un ordinateur » (Ordonnance du Tribunal d’Arrondissement du 13/07/2007, rôle n° 109031). La directive européenne 2009/24/CE considère dans son considérant 10 que « un programme d’ordinateur est appelé à communiquer et à fonctionner avec d’autres éléments d’un système informatique et avec des utilisateurs ; à cet effet, un lien logique et, le cas échéant, physique d’interconnexion et d’interaction est nécessaire dans le but de permettre le plein fonctionnement de tous les éléments du logiciel et du matériel avec d’autres logiciels et matériels ainsi qu’avec les utilisateurs ».

Les algorithmes ne semblent pas entrer dans le cadre de la définition du programme d’ordinateur, et ne pourront faire l’objet d’une protection en tant que tel.

Par conséquent, on peut affirmer que les algorithmes, pris en tant quemodèle informatique, ne sont pas protégés en tant que tel par un droit d’auteur. Cependant la mise en forme de ces algorithmes par des documents (électroniques ou papier) et une description du modèle informatique, pourront être protégés par le droit d’auteur, à condition de comporter un certain degré d’originalité, qui se caractérise par un effort personnalisé.

Démarches envisageables

En considérant que les algorithmes sont susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur aux conditions énoncées ci-dessus, il convient de noter que cette protection existe par la seule mise en forme, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune démarche d’enregistrement à effectuer pour que naisse le droit.

Toutefois, peut se poser en pratique un problème de preuve en cas de conflit : il pourra être difficile de dater la création des algorithmes et de prouver leur antériorité en cas de contrefaçon par un tiers. C’est pourquoi il existe des systèmes destinés à prouver l’existence d’une idée, d’un concept ou d’un procédé à une date déterminée.

L’Office Benelux de la Propriété intellectuelle (OBPI) offre un service de ce type, qui permet de prouver l’existence d’une création (appelé i-dépôt). Ce service est officiel : concrètement il faut fournir à l’OBPI les informations qu’ils conserveront, et le jour où un conflit se présente, l’OBPI sera en mesure de fournir une attestation officielle avec la date et le contenu du dépôt de telle ou telle information qui a été effectuée. Il est cependant important de noter que l’OBPI ne garantit pas que les informations qui leur sont remises sont protégées par un droit de propriété intellectuelle.

Par ailleurs, et en cas de transmission d’informations confidentielles à un client potentiel par exemple, il peut être de la plus haute importance, avant toute présentation, de conclure avec les personnes concernées un accord de confidentialité qui serait destiné à régir les relations précontractuelles, et qui interdirait toute divulgation, toute utilisation des informations présentées, sans un accord préalable, la violation de cet accord étant soumise à des pénalités.

Published on 30. 07. 2015
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