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Les dessins et modèles au Luxembourg: quelle protection?

Les dessins et modèles, qui se matérialisent par l’aspect d’un produit (industriel, artisanal, etc.) sont protégés par des dispositions spécifiques du droit de la propriété intellectuelle. Au Luxembourg, deux régimes permettent de protéger les dessins et modèles.

D’une part, la Convention Benelux du 25 février 2005 en matière de Propriété Intellectuelle, (ci-après la « Convention Benelux ») elle-même issue d’une directive européenne du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles , fixe les règles propres à assurer la protection des dessins, (les formes bidimensionnelles), et des modèles (formes tridimensionnelles) .

D’autre part la loi du 18 avril 2001 sur les droits d’auteur, les droits voisins et les bases de données (ci-après la « Loi de 2001 ») protège les œuvres artistiques originales, quels qu’en soient le genre et la forme ou l’expression.

Dans le cadre de la Convention Benelux, la protection par le droit des dessins ou modèles s’acquiert par l’enregistrement du dépôt, ce qui signifie qu’un dessin ou un modèle non déposé n’est pas susceptible d’être protégé par le droit des dessins et modèles. Le créateur peut effectuer un dépôt en territoire Benelux auprès de l’Office Benelux de la Propriété Intellectuelle (ci-après “l’OBPI“) ; sa création sera alors protégée sur l’ensemble du territoire Benelux.

La Convention Benelux prévoit que l’enregistrement d’un dessin ou modèle a une durée de cinq années, et peut être renouvelé pour quatre périodes successives de cinq années jusqu’à un maximum de 25 ans.
De plus, depuis le 1er Octobre 2013, l’anglais est venu s’ajouter aux deux autres langues officielles de travail préexistantes de l’OBPI, à savoir le français et le néerlandais. Il est donc désormais possible de rédiger sa demande de dessin ou modèle en anglais.
Il est en outre envisageable de bénéficier d’une protection plus étendue en effectuant un dépôt international auprès du Bureau international de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ou OMPI). Dans ce cas, le déposant choisira les pays, parmi les membres signataires de l’Arrangement de La Haye , dans lesquels il souhaite protéger sa création par le biais d’un dépôt unique. Il est important de noter que dans cette hypothèse, ce sont les règles nationales propres à chaque pays où le dessin ou modèle est déposé qui ont vocation à s’appliquer. Par conséquent, il est possible que la protection soit accordée dans un Etat et refusée dans un autre.

Enfin, au niveau européen, le Règlement CE sur les dessins ou modèles communautaires protège une création dans l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne à travers un dépôt unique auprès de l’Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur. Ce système a pour avantage de soumettre les déposants à une seule réglementation tout en accordant la protection dans les vingt-huit Etats membres.

Mais pour que le dessin ou modèle puisse être protégé par un enregistrement, il doit remplir certaines conditions légales (i). Le dessin ou modèle pouvant également bénéficier de la protection du droit d’auteur dans les conditions de la Loi de 2001, un cumul de protection est possible (ii). En toute hypothèse, que le dessin ou modèle soit protégé par l’un ou/et l’autre droit, l’objectif sera toujours d’avoir les outils nécessaires pour lutter contre la contrefaçon de ses créations, les moyens juridiques ne seront cependant pas les mêmes (iii).

i. Les conditions de la protection par le droit des dessins et modèles (Convention Benelux)

Pour qu’une protection soit envisageable, il faut que le dessin ou modèle réponde à la définition légale telle que fixée par la Convention Benelux, qu’il soit nouveau, et qu’il présente un caractère individuel.

Définition

L’article 3.1 de la Convention Benelux définit le dessin ou modèle comme étant “l’aspect d’un produit ou d’une partie d’un produit“ qui lui est conféré, en particulier, “par les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture ou des matériaux du produit lui-même ou de son ornementation“.

La protection vise donc exclusivement l’apparence extérieure d’un produit. La Convention Benelux exclut expressément de la protection “les caractéristiques de l’aspect d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique“. Dans ce cas, c’est une protection par le brevet qui sera appropriée.

Enfin, cette définition vise uniquement les produits. Selon la Convention Benelux, “on entend par produit tout article industriel ou artisanal, y compris, entre autres, les pièces conçues pour être assemblées en un produit complexe, emballage, présentation, symbole graphique et caractère typographique. Les programmes d’ordinateur ne sont pas considérés comme un produit“. Ainsi, seuls les dessins ou modèles ayant une fonction commerciale peuvent être protégés.

 La nouveauté

Selon l’auteur français Henri Desbois , la nouveauté évoque “l’idée d’un objet qui n’a pas d’homologue dans le passé“, autrement dit, l’absence de modèle déposé antérieurement.

La Convention Benelux a retenu la même approche en précisant, dans son article 3.3 que : “un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si, à la date de dépôt ou à la date de priorité, aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public“. Il est précisé que “des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants“.

Cette notion de nouveauté peut cependant être interprétée de façon plus ou moins restrictive. La jurisprudence belge (à l’instar de la jurisprudence française) considère que la notion de nouveauté ne doit pas être comprise dans un sens rigoureux : selon la Cour d’appel de Bruxelles , la nouveauté peut être modeste en ce sens que la loi garantit la protection de toutes les formes qui se distinguent d’une façon quelconque, même extrêmement réduite, du domaine public. De plus, la nouveauté exigée peut n’être que relative ; il n’est pas nécessaire, en effet, que chacun des éléments d’un dessin ou d’un modèle, pris isolément, soit nouveau, ou même qu’un seul le soit. Un dessin ou modèle peut être composé exclusivement d’éléments banals ; il suffit, en ce cas, que le créateur les ait combinés, disposés ou agencés d’une manière qui n’avait pas été faite jusque là, pour que la combinaison de ces éléments soit nouvelle.

Par ailleurs, la condition de nouveauté doit être distinguée de celle d’originalité propre au droit d’auteur. Pourtant, en pratique, force est de constater que les juges ne font souvent pas la distinction, et mêlent les deux. Ils parlent alors d’effort intellectuel ou d’effort de création, qui sont des critères de protection plus vagues et plus larges, à mi-chemin entre originalité et nouveauté. Ce raisonnement est juridiquement contestable car les deux notions n’ont pas le même champ d’application : l’originalité suppose l’empreinte de la personnalité de l’auteur, alors que la nouveauté suppose une absence d’antériorité, c’est à dire que le dessin ou modèle présente un aspect qui le distingue par rapport à toutes les créations antérieures.

Ainsi, l’originalité est souvent requise par les juges en sus de la nouveauté. Par exemple, selon un arrêt de la Cour de Cassation française du 3 mai 2000 , “en constatant que, tant par sa configuration distincte que par ses effets extérieurs, le modèle présente le caractère de nouveauté exigé par l’article L 511-3 al 1er, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le modèle exprimait la personnalité de l’auteur et résultait d’un effort de création, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à se décision“. La jurisprudence belge a également tendance à mêler les deux notions : la nouveauté et l’originalité ne doivent pas être absolues mais il faut et il suffit que la combinaison des divers éléments qui composent le dessin ou le modèle soit nouvelle et que l’ensemble présente un aspect original . La Cour d’appel de Bruxelles va même plus loin sur le chemin de la confusion en affirmant qu’un modèle peut être nouveau sans être totalement original.

Or, l’originalité et la nouveauté peuvent également résulter de la combinaison d’éléments connus qui formeraient une « combinaison originale » ou un « aspect général nouveau ». En effet, sur la protection d’un meuble ancien, il a été jugé que la reconstitution de meubles de style ancien peut faire l’objet d’un droit de propriété protégé par la loi lorsqu’elle réunit des motifs décoratifs isolément détachés d’œuvres anciennes, mais pourvu qu’elle consiste dans une combinaison originale de ces éléments divers. De même, à propos de lits d’enfants, la Cour d’appel de Paris a décidé qu’il est permis, en principe, en matière de propriété artistique, de revendiquer une disposition et combinaison originale d’éléments ou de caractéristiques appartenant déjà au domaine public, à la condition que cette combinaison constitue une œuvre artistique dont l’aspect général soit nouveau et que donc sa forme d’ensemble soit nouvelle et se distingue nettement des réalisations antérieures dans le même domaine.

Le caractère individuel

Selon l’article 3.3 (2) de la Convention Benelux, “un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale que ce dessin ou modèle produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt ou la date de priorité. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle“.
A cette règle qui peut sembler obscure, le règlement communautaire sur les dessins et modèles communautaires (considérant 14) apporte une précision: c’est la nature du produit qui permet de définir le degré de liberté ou d’autonomie laissée au créateur.

Il est en effet de principe que le droit des dessins et modèles ne protège pas le genre , mais uniquement des objets déterminés et individualisés .

Un arrêt rendu par le Tribunal de l’Union Européenne le 7 novembre 2013 précise que “le caractère individuel d’un dessin ou d’un modèle résulte d’une impression globale de différence, ou d’absence de déjà vu de l’utilisateur averti, par rapport à toute antériorité au sein du patrimoine des dessins ou modèles, sans tenir compte des différences insuffisamment marquées pour affecter ladite impression globale bien qu’excédant des détails insignifiants, mais en ayant égard à des différences suffisamment marquées pour créer des impressions d’ensemble dissemblables“.

Dès lors, l’auteur d’un modèle ne peut revendiquer de droits exclusifs que sur le modèle dont il a défini les caractéristiques, et il ne saurait solliciter que la protection soit étendue à une forme différente, sans aboutir à faire protéger un genre . Ainsi, par exemple, une société commercialisant des verres ne peut valablement voir étendre la protection dont bénéficie son modèle de verre à boire au genre auquel il appartient et donc à tout verre, dès lors qu’il serait doté d’une anse en prétendant (à tort) que la combinaison de son modèle serait reprise dans les deux modèles critiqués .

ii. Droit des dessins et modèles / droits d’auteur : cumul de protection

La Loi de 2001 protège les œuvres artistiques originales, quels qu’en soient le genre et la forme ou l’expression. C’est le principe d’unité de l’art. Et si la Loi de 2001 ne dit pas expressément qu’elle protège les œuvres d’arts appliqués que sont les dessins et modèles industriels, il ne fait aucun doute que ces derniers entrent dans le cadre de la définition.

Pour bénéficier de la protection au titre de la Loi de 2001, l’œuvre doit d’abord être originale. On a vu qu’en matière d’arts appliqués, les tribunaux parlent plutôt d’effort intellectuel ou d’effort de création. En effet, il est plus difficile de déceler « l’empreinte de la personnalité », critère traditionnel de l’originalité, dans un modèle industriel.

L’œuvre doit ensuite être mise en forme, les droits d’auteur ne protégeant ni les idées ni les méthodes de fonctionnement ni les concepts. Seule la réalisation matérielle d’un effet esthétique permettra d’être protégée par le droit d’auteur. Ainsi, il est nécessaire de bien distinguer entre l’esthétique (protégeable par le droit d’auteur et le droit des dessins et modèles), et la fonction (uniquement protégeable par le droit des brevets).

Dès lors, si ces deux conditions sont remplies, un dessin ou modèle pourra être protégé par le droit d’auteur. Aucune formalité d’enregistrement ou autre dépôt ne sera alors nécessaire. Il est donc tout à fait envisageable de cumuler, pour un dessin ou modèle, un enregistrement selon le droit des dessins et modèles, et une protection par le droit d’auteur.

Un créateur aura alors la possibilité de cumuler ou de choisir le fondement qu’il souhaite invoquer pour protéger ses œuvres. Ce choix peut s’avérer décisif au regard notamment d’une éventuelle contrefaçon. En effet, en droit luxembourgeois, la contrefaçon de droits d’auteur est une infraction pénale alors que ni la Convention, ni le code pénal ne prévoient de sanctions pénales en cas de contrefaçon de dessin ou modèle.

iii. La contrefaçon de dessins et modèles

Le droit exclusif à un dessin ou modèle permet au titulaire de l’enregistrement de s’opposer à l’utilisation (c’est-à-dire notamment la fabrication, la commercialisation) d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué et ayant un aspect identique au dessin ou modèle tel qu’il a été déposé, ou qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression globale différente, compte tenu du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle (article 3.16 de la Convention).

Il s’agit d’un véritable monopole du titulaire sur un dessin ou un modèle déposé, lequel pourra alors demander, par le biais d’une action civile en réparation, des dommages et intérêts en fonction des conséquences économiques négatives, des bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et éventuellement du préjudice moral. Le titulaire pourra également intenter une action en cession du bénéfice réalisé à la suite de l’usage contrefaisant et de mauvaise foi.

Le droit luxembourgeois ne sanctionne pénalement que la contrefaçon de droits d’auteur et dans une moindre mesure la contrefaçon de marques. Dans ce cas, le créateur d’un dessin ou modèle pourra agir pénalement uniquement sur le fondement du droit d’auteur.

En effet, l’article 82 de la loi sur les droits d’auteur prévoit que “toute atteinte méchante ou frauduleuse aux droits protégés au titre de la présente loi du l’auteur, des titulaires de droits voisins et des producteurs de bases de données constitue le délit de contrefaçon“.

En revanche, le créateur ne pourra intenter qu’une action civile sur le fondement du droit des dessins ou modèles, et obtenir réparation sous forme de dommages et intérêts.

Afin d’harmoniser les législations des Etats membres, le Parlement européen a adopté le 25 avril 2007 une proposition modifiée de directive relative aux mesures pénales visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle. L’ensemble des droits de propriété intellectuelle sont visés, à l’exception des brevets, des modèles d’utilité publique, et des obtentions végétales. L’objectif est de lutter plus efficacement contre la contrefaçon par une certaine homogénéisation des peines encourues et un renforcement de la coopération entre états afin de faciliter les enquêtes pénales.

Plus récemment, dans un arrêt rendu le 19 juin 2014 par la Cour de Justice de l’Union Européenne , la question des dessins et modèles non enregistrés a été analysée.

Dans cette décision, la Cour énonce qu’en matière d’actions en contrefaçon, un dessin ou modèle communautaire non enregistré peut être présumé valide sous certaines conditions.

Il est en particulier nécessaire que le caractère individuel d’un dessin ou modèle soit apprécié par rapport à un ou plusieurs modèles déterminés, individualisés et précis parmi l’ensemble des dessins ou modèles divulgués au public antérieurement. En outre, dans le cadre d’une action en contrefaçon, la Cour instaure une présomption de validité des dessins ou modèles non enregistrés. Il est simplement nécessaire pour l’utilisateur qu’il indique en quoi son dessin ou modèle présente un caractère individuel.

[1] Directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles

[2] C’est la loi du 16 mai 2006 qui porte approbation de la Convention Benelux en matière de Propriété Intellectuelle au Luxembourg.

[3] Il y a 64 membres au 15 juillet 2015. La liste des membres se trouve sur le site de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle : http://www.wipo.int/treaties/fr/documents/pdf/hague.pdf

[4] Règlement CE n°6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires : http://oami.europa.eu/fr/design/pdf/reg2002_6.pdf

[5] Le droit d’auteur en France : Dalloz 1978, 3e éd., p. 100

[6] A notre connaissance, il n’y a pas de jurisprudence luxembourgeoise sur cette question. Cependant, la jurisprudence belge est dans ce domaine tout à fait pertinente, étant donné que le droit des dessins et modèles est uniformisé dans le territoire Benelux.

[7] Cour d’appel de Bruxelles, Chambres civiles, 9e CH, 2000.02.03, N° du rôle 96/AR/3492

[8] PIBD 2000, III, p. 418

[9] Cour d’appel de Bruxelles, Chambres civiles, 9e CH, 1997.02.21

[10] CA Angers, 25 juill. 1913, Ann. propr. ind. 1914, p.57

[11] CA Paris, 26 janv. 1960 : Ann. propr. ind. 1960, p.88

[12] Règlement n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires

[13] Définit comme le ou les caractères communs appartenant à une catégorie d’objets

[14] CA Paris 14 juin 1966 : Ann. propr. ind. 1996, p. 1882

[15] T 666/11,  7 nov. 2013, point 29

[16] CA Paris, 22 juin 1993: Ann. propr. ind. 1994, p. 103

[17] CA Paris, 28 nov. 2001 : Juris-Data n° 2001-167511

[18] Affaire C-345/13, Karen Millen Fashions Ltd / Dunnes Stores

Published on 12. 08. 2015
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